Lâcher prise pour mieux agir : Quand la Bhagavad Gītā rencontre les pratiques somatiques
"Tu as droit à l'action, mais jamais à ses fruits" - Bhagavad Gītā, 2.47
Il y a quelque chose de profondément libérateur dans cette parole de Krishna à Arjuna. Au cœur du champ de bataille, face à l'immensité de la tâche qui l'attend, le guerrier apprend un paradoxe qui transcende les siècles : agir pleinement tout en abandonnant le contrôle sur les résultats.
Cette sagesse millénaire résonne étrangement avec ce que nous découvrons dans nos pratiques corporelles contemporaines. Que ce soit dans la danse, le yoga, la méditation en mouvement ou toute autre approche somatique, nous rencontrons la même invitation : celle d'une remise de soi profonde.
L'art de la non-maîtrise
Dans nos sociétés occidentales, nous avons appris à valoriser le contrôle, la performance, la maîtrise. Notre ego se nourrit de cette illusion qu'il peut tout diriger, tout prévoir, tout organiser. Mais que se passe-t-il quand nous entrons dans notre pratique corporelle avec cette même énergie de contrôle ?
Le corps résiste. Il se crispe. Il perd sa fluidité naturelle.
La Bhagavad Gītā nous enseigne autre chose : l'action juste naît non pas de la volonté forcenée de l'ego, mais d'un alignement avec une intelligence plus vaste. Arjuna découvre qu'il peut agir avec une efficacité redoutable tout en déposant ses calculs personnels, ses peurs, ses attachements aux résultats.
La danse entre effort et abandon
Dans nos pratiques somatiques, cette sagesse se traduit concrètement :
Moins de performance, plus de présence
Au lieu de chercher à "bien faire" ou à reproduire un mouvement parfait, nous apprenons à habiter pleinement l'instant présent. Le corps sait. Il a sa propre intelligence, ses propres rythmes, sa propre créativité.
Moins de contrôle musculaire, plus d'écoute
Plutôt que de forcer le mouvement selon notre idée mentale de ce qu'il devrait être, nous développons une écoute fine. Nous sentons ce qui émerge naturellement, ce qui demande à se déployer à travers nous.
Moins de mental, plus de confiance
Le mental calcule, compare, juge, anticipe. Le corps, lui, sait. Il connaît ses besoins, ses limites, ses possibilités d'expansion. Faire confiance à cette sagesse corporelle, c'est accéder à une forme d'intelligence qui dépasse largement notre compréhension rationnelle.
La psychologie des profondeurs éclaire la voie
Carl Gustav Jung, ce grand explorateur de la psyché humaine, avait intuitivement saisi cette même vérité. Il appelait cela l'ouverture au Soi - cette instance psychique plus vaste que l'ego, qui englobe à la fois le conscient et l'inconscient.
Pour Jung, la santé psychique ne consiste pas à renforcer indéfiniment l'ego et son contrôle, mais à apprendre à collaborer avec les forces créatrices de l'inconscient. C'est exactement ce que fait Arjuna : il cesse de lutter contre la situation pour s'ouvrir à la guidance de Krishna, figure du Soi transpersonnel.
Cette collaboration n'est pas de la passivité. C'est une forme d'activité plus subtile, plus raffinée. Une danse consciente entre volonté et réceptivité, entre effort et abandon.
L'intelligence du corps qui sait
Avez-vous déjà vécu ces moments où votre corps semble danser tout seul ? Où le mouvement vous traverse plutôt que vous ne le créez ? Où une fluidité inattendue émerge alors que vous aviez cessé de "vouloir" ?
Ces expériences nous donnent un aperçu de ce dont parle la Gītā. Nous découvrons qu'il existe en nous une intelligence qui dépasse largement notre ego conscient. Cette intelligence connaît nos besoins profonds, nos rythmes authentiques, nos possibilités d'évolution.
Le paradoxe est saisissant : plus nous lâchons prise sur le contrôle, plus nous devenons efficaces. Plus nous cessons de forcer, plus nous trouvons notre juste puissance.
Une pratique pour explorer
La prochaine fois que vous entrez dans votre pratique corporelle - qu'il s'agisse de yoga, de danse, de marche méditative ou de tout autre mouvement - essayez cette approche :
- Commencez par vous connecter à votre respiration, sans rien vouloir changer
- Sentez votre corps de l'intérieur, ses tensions, ses zones de fluidité
- Invitez le mouvement plutôt que de l'imposer - que veut bouger aujourd'hui ?
- Observez sans juger ce qui émerge, même si c'est différent de vos attentes
- Cultivez la curiosité envers cette intelligence corporelle qui se révèle
L'action juste dans un monde en mouvement
Cette sagesse de la Bhagavad Gītā et des pratiques somatiques nous offre une voie précieuse pour naviguer dans notre monde contemporain. Face à l'accélération, à l'incertitude, aux défis complexes de notre époque, nous avons besoin d'apprendre à agir depuis un autre lieu.
Non plus depuis la crispation de l'ego qui veut tout contrôler, mais depuis cette confiance profonde en une intelligence plus vaste - celle du corps, celle de la psyché, celle de la vie elle-même.
Comme Krishna le rappelle à Arjuna, nous avons le droit - et même le devoir - d'agir pleinement dans le monde. Mais cette action devient infiniment plus juste et plus efficace quand elle naît de l'abandon plutôt que de la volonté forcenée.
Quelle est votre expérience de ce lâcher prise dans votre pratique corporelle ? Comment cette intelligence plus vaste se manifeste-t-elle à travers vous ?
Cet article explore les ponts entre sagesses anciennes et pratiques contemporaines. Si vous souhaitez approfondir ces liens entre philosophie orientale, psychologie jungienne et approches somatiques, n'hésitez pas à partager vos réflexions et expériences.
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